ETATS DES YEUX | Octobre 2024 | Ajustements d'images | LES HEURES PLEINES | Semaine 43 | Un temps de Toussaint
vendredi 25 octobre 2024
25.10.24
Une profusion de fleurs sur le siège arrière de l'auto et devant sur le siège passager à droite . Préparer la tournée rituelle de trois cimetières Beaujolais. A quelques kilomètres de distance, trois lieux de mémoire éteinte que je tiens à rallumer tendrement. Une préférence ou deux. Mais je peux les traiter à égalité. Il y a des morts qui ne touchent plus autant la peau profonde. Des souvenirs qui s'étiolent. Cependant la mort se débrouille toujours pour irriguer le présent et s'incarner à chaque instant. L'éloigner n'est pas difficile, mais elle revient comme une mèche rebelle devant les yeux qui s'embuent facilement. Mettre les chagrins successifs à distance occupe beaucoup de temps. Ne pas durcir son coeur par négligence. Ne pas chercher à fuir devant le néant. Fleurir nos propres mort.e.s c'est fleurir tout le monde. Du ciel les cimetières de Toussaint en pente sont beaux à voir.
Fidélité à des lignées où la mort prématurée a changé la donne. Grands-pères remariés. C'était l'époque. Un homme ne peut pas rester seul. Surtout après avoir vécu la guerre de 14-18. Deux femmes rapportées, une opportune (une relation galante ?) et une exilée d'Italie. Des ambiances viticoles. Nous aimions côtoyer cela, surtout pendant l'été, et au moment des vendanges.
Aujourd'hui les ancêtres intriguent encore. Leurs os ont disparu. Ne subsistent que très peu de photos en noir et blanc ou sépia. Les patronymes et les prénoms d'antan sont des trésors. Leur dispersion étonne.
Nous ne fréquentions pas les cimetières villageois mais on nous en parlait souvent. Il y avait des choses à savoir. D'autres à oublier. Les familles sont des mausolées de non-dits. Elles sont source de légendes, de drames et de compromis.
Deux tombes de marbre sombre, une tombe à gravier avec bac de terre devant. Deux sépultures glacées façon bourgeoises, une de facture modeste, ma préférée. Ne jamais les abandonner. Mission maternelle implicite. Chacune pourtant inspire des sentiments différents, je les sens complémentaires.
Honorer les personnes mortes connues ou inconnues est un rituel précieux. Il nous confronte à notre propre disparition qui devient de plus en plus crédible. Il rend la présence vivante vitale à savourer .
Ne pas avoir de sépulture identifiable est une malédiction. Certain.e.s diront que Non ! D'autres font du spiritisme. Je veux faire autrement. L'au-delà me paraît inaccessible. Je me contente de l'idée de réincarnation cosmique à partir d'une stèle même périssable. Elle compte au moins pour quatre générations.
Car il n'y a rien de plus triste que l'anonymat des fosses communes ou des carrés pour indigent.e.s.
Les disparu.e.s en mer s ou en camp de déportation sont des fantômes inconsolables.
La naissance et la mort sont des jalons essentiels et indispensables pour comprendre la valeur d'un parcours et d'une existence, quelle qu'elle fut.
Les fleurs sont dans la voiture. Multicolores et fières. Elles attendent une manière concrète de courte procession annuelle et personnalisée. Elles savent à qui s'adresser... Elles savent donc où mourir... Elles ont pourtant la charge de résistance à l'oubli.
Il y aura plus tard quelques tombes Ardéchoises à visiter , dans "ce pays de cailloux" comme le qualifiait notre grand-père au regard triste. Notre mère a inauguré l'espace dédié aux crémations, elle a été la première en Mai 2003, l'ayant fait réclamer à la mairie. Il n'était pas question de cendres dispersibles... Son petit carré de marbre rose n'est jamais défleuri et il déborde. Elle y a retrouvé notre père en Mai 2017. Cette année, une petite céramique avec la photo du couple redonnera un peu de vie aux bons souvenirs de ces deux-là. Les médaillons individuels avaient perdu de leur éclat et l'un des deux s'était brisé au changement des plaques nominatives. Les réunir me rend heureuse. Eloge du recueillement libre avec des gestes inédits.